dimanche 1 novembre 2009

Le grand frère


Le frère de mon père avait 6 enfants, 4 garçons et deux filles qui se suivaient en âge. Un après-midi, il était sorti avec sa femme et deux de ses enfants lorsqu’un véhicule vint s’encastrer violemment dans sa voiture. Les enfant à l’arrière s’en sortirent avec quelques bosses et contusions , mon oncle fut hospitalisé quelques jours pour des blessures sans gravité, ma tante fut éjectée du véhicule et tuée sur le coup.

Je ne me souviens pas vraiment de ce passage de ma vie, je devais avoir 5 ans et à l’époque je passais plus de temps chez ma grand-mère que chez mes parents, puis dans la famille on avait toujours l’habitude de cacher les choses, surtout devant les enfants.

Mon oncle se retrouva seul avec 6 enfants à gérer, le dernier devait avoir à peine 3 ans et l’ainé en avait 16. Ne pouvant gérer seul cette lourde charge parce qu’en plus il travaillait, les enfants avaient été placés dans des familles d’accueil en attendant qu’un juge décide de leur sort. Mon oncle les voyait le week-end et pendant les vacances.

Deux années s’écoulèrent et un beau jour on m’apprit que j’allais avoir un frère. Je regardais ma mère qui n’avait visiblement pas l’air enceinte et c’est là qu’on m’expliqua qu’à la fin de la semaine, mon cousin allait rejoindre notre famille.

Les enfants ne pouvaient pas rester comme ça indéfiniment placés, un conseil de famille avait eu lieu et il avait été décidé que les trois frères de mon oncle récupèreraient chacun un enfant, et comme ils étaient tous parrain d’un des enfants, ils accueilleraient leur filleul, les deux filles seraient placées chez les deux grand-mères, tandis que l’ainé serait chez son père, il allait atteindre sa majorité.

C’est ainsi que Jean-Pierre débarqua un samedii soir à la maison. Très timide, un peu gauche, on avait l’impression d’un animal sauvage que l’on avait trop bridé, une bête effarouchée qui n’avait pas de repères et qui se demandait ce qui pourrait bien lui arriver.

Je me souviens de son pantalon en velours trop court élimé aux genoux et de ses chaussures démodées, il avait un pull en col V qui boulochait et une chemise à carreaux en dessous complètement délavée. Ca faisait longtemps que ses cheveux n’avaient pas vu le coiffeur et ma première réaction fut de penser qu’il ne serait jamais mon frère parce qu’il était bien trop sale.

Il s’installa tant bien que mal dans la chambre qui lui avait été préparée, je me souviens que pour l’accueillir je lui avais offert une petite tirelire que j’affectionnais particulièrement, un joli chat blanc en porcelaine avec des lunettes rondes sur le nez, on l’avait posée sur son étagère et il était entendu qu’il y mettrait son argent de poche qui lui serait versé tous les dimanche soir. Je lui avais aussi passé quelques livres que j’avais aimés, histoire que son étagère ne reste pas vide. Ses affaires furent vite rangées dans l’armoire, il avait un sac de voyage qui contenait peu de vêtements, ma mère décida très vite que le mercredi on irait faire les boutiques histoires de lui racheter quelques effets.

La première approche se passa plutôt bien, mais j’appréhendais le lundi car il ferait sa rentrée dans la même école que moi, il me semble qu’à cette époque j’étais en CE1, lui avait redoublé son CM2, l’école ne semblait pas l’intéresser. Le lundi fut catastrophique, il fut tout de suite mis à part par les autres élèves qui se moquaient de ses pantalons trop courts, de ses cheveux hirsutes et de sa façon de parler.

Mes copines ne se gênaient pas non plus et je ne savais plus où me mettre car bien évidemment il venait me parler se retrouvant tout seul au milieu d’un monde inconnu et qui lui était hostile. Je n’ai pas été à la hauteur sur ce coup là autant vous l’avouer, j’avais honte et du coup je faisais celle qui ne le connaissait pas de trop ; « bein oui c’est mon cousin, on l’a récupéré ce week-end, il va rester un peu chez nous en attendant que son père retrouve une femme et reforme une famille »…. Je lançais ça d’un air détaché à qui voulait bien m’écouter et je changeais vite fait de conversation, entraînant les copines bien loin de Jean-Pierre qui, je le sentais allait me pourrir la vie avec mon petit cercle de copines.

Lorsque le soir à la maison autour du repas mon père demanda comment c’était passé la première journée, je gardais les yeux rivés sur mon assiette et Jean-Pierre ne dit rien. Il ne raconta pas qu’il était resté seul, raillé par tout le monde et que cette première journée avait été bien difficile pour lui. Une de plus sans doute, avec tout ce qu’il avait déjà vécu dans son jeune âge, il semblait habitué et prenait cela comme une fatalité. Mon père qui avait bien compris que cela ne tournait pas rond me pris à part après le repas et je finis par avouer ce qui c’était réellement passé à l’école.

Je ne me pris pas de savon mais mon père me donna une leçon de morale magistrale qui me fit l’effet d’une claque et qui me remit tout de suite dans le droit chemin, le chemin du bien et de la justice, le chemin de la solidarité et de la fraternité…..

Le lendemain, contre vents et marées, je présentais Jean-Pierre aux copines et copains, me servant des arguments de mon père et ça marcha plus ou moins. Le Mercredi nous lui achetâmes des jean’s, sweat et baskets et on l’emmena chez le coiffeur. Le Jeudi matin c’était un Jean-Pierre nouveau qui se fit plein d’amis.

Jean-Pierre a vécu plus d’un an et demi avec nous. C’était devenu comme mon frère et d’ailleurs je le présentais comme ça. On en a fait des bêtises ensemble. Je l’avais surnommé « Brise fer » car il cassait tout ce qu’il touchait, il démontait les réveils, les radios, les appareils photos, rien ne lui résistait. Mes parents avaient du fil à retordre avec lui car il devenait un peu borderline, régulièrement mes parents étaient appelés par l’école car c’était un élève insupportable qui n’écoutait rien et dérangeait la classe. Il fumait en cachette à la sortie du collège et avait de bien vilaines fréquentations, vol de mobylettes, de vélos, petits vols à l’étalage, il n’en était plus à une bêtise près. Mais on s’entendait bien et on se soutenait dans nos bêtises.

Le Père de Jean-Pierre a rencontré une femme divorcée en parcourant les petites annonces, elle avait elle aussi 6 enfants et comme mon oncle, 4 garçons et deux filles, ces deux là étaient fait pour se rencontrer….. ça a tout de suite collé entre eux et ils se sont installés ensemble. Jean-Pierre est parti rejoindre son père et sa nouvelle maman, il a, au passage hérité de 6 nouveaux frères et sœurs. Je ne me souviens pas d’avoir été triste de son départ, on avait toujours dit que cette situation était provisoire et je savais qu’on se reverrait …..

Souvent le dimanche nous passions voir Jean-Pierre chez mon oncle et sa nouvelle épouse, une femme adorable, d’une patience et d’une gentillesse. Elle avait tout de suite adopté les enfants de mon oncle et tout ce petit monde s’entendait à merveille. Douze enfants, je ne sais pas si vous vous imaginez mais ça faisait une sacrée table !!! chacun y mettait du sien. Ils avaient été obligés d’aménager deux chambres supplémentaires dans la cave, heureusement, ma tante avait gardé sa maison, une grande maison sur trois étages et la cohabitation se passait bien. Mes cousines et cousins avaient souffert du manque d’une maman, ils retrouvaient là une vraie maman qui s’occupait d’eux, leur faisait des bons petits plats. Les enfants de ma tante avaient souffert d’un père violent qui buvait, ils retrouvaient un papa à leur écoute, courageux et travailleur qui s’occupait d’eux et rendait heureuse leur maman.

C’était ce qu’on pouvait appeler une famille formidable, petit à petit les copains et copines sont venus se greffer, les tables étaient de plus en plus grandes et nous étions chez eux pratiquement tous les dimanches pour le rituel du 4 heures, les grands-parents venaient se greffer, les autres oncles et tantes aussi, … c’était un joyeux capharnaüm, il y avait des enfants partout dans les chambres et quand il faisait beau on squattait le bout de jardin.

J’ai récupéré 4 cousins et 2 cousines supplémentaires, on s’entendait bien même si elles étaient plus âgées. J’ai retrouvé mon statut d’enfant unique mais pas pour longtemps. On m’a informé que bientôt j’aurai un frère ou une sœur…. Je me suis dit « ce coup là on me l’a déjà fait » !!! et un jour de septembre Samuel a pointé le bout de son nez, cette fois j’avais un frère pour de vrai……

23 commentaires:

  1. On voit où sont les sources de la générosité que l'on sent en toi.

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  2. superbe histoire,un vrai conte ;O)

    bonne semaine

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  3. Je comprends maintenant ton sens de l'adaptation

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  4. 12 enfants... puis tous les rajouts (amis, cousins, ...) ça doit etre un vrai cirque.
    quelles belles rigolades quand meme!
    bisous.

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  5. Cela n'a pas dû être facile pour lui : la mort de sa maman, le placement en famille d'accueil, se retrouver chez son oncle. Puis tu as agi comme une petite fille de 7 ans qui a su grâce à des explications montrer son bon côté

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  6. J'ai bien aimé cette histoire (vraie) et tous ces enfants réunis par un remariage ! Ta réaction a été normale puis les choses se sont arrangées d'elles même...

    Je n'ai qu'une soeur et je ne sais pas ce que c'est qu'une famille nombreuse...

    Gros bisous ma Havera et bonne semaine laborieuse.

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  7. Quelle tragédie qui engendre tant de souffrances, l'éparpillement d'une fratrie est sans doute une chose difficile à supporter, mais ils s'en sont bien sortis grâce à une famille soudée autour d'eux.

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  8. Je t'envie un peu sur ce coup-là, je suis fille unique et parfois j'aurais bien aimé avoir un frère ou une soeur... mais bon je n'en suis pas plus malheureuse, loin de là, mais voilà.
    En tout cas, tu as une grande famille! Vous devez bien vous amusez parfois!

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  9. belle histoire vraie! tu avais fait déjà un galop d'essai avec ton cousin avant Samuel!!!

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  10. Je suis d'accord avec Joëlle : ton sens de l'entraide, ta générosité, ton altruisme, enfin toutes ces qualités qui te caractérisent aujourd'hui étaient déjà en toi depuis longtemps...quoique tes 7 ans ne sont pas si loin ! (je le sais : nous avons le même âge.)

    Très touchante ton histoire. Parfois, certains liens se créent là où on ne les attend pas...
    Dan.

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  11. Je me souviens très bien de l'arrivée de Jean Pierre chez toi.Et je me souviens aussi qu'il avait cassé ma p'tite guitare ;-))))
    bises
    Le Lion

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  12. les rajoutes comme nous disons dans ma famille ... c'est si bon, de se retrouver, chez ma tante le joyeux capharnaum quand j'appelle à la Noel ou au nouvel an, tout le monde veut parler à tati qui est loin, 24 enfants et petits enfants, plus les parents, mais c'est si bon ....

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  13. Dur dur de ne plus être seule chouchoutée par les parents ?
    Tu as bien réagi et son départ ne t'a pas perturbé non plus c'est très bien !
    Et Samuel tu t'es entendu comment avec lui ? Il est BEAUCOUP plus jeune que toi alors, il a pas SA ménopause encore lui !
    biz

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  14. Mince alors, il t'en arrive toujours des trucs...

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  15. Il a eu de la chance ton grand frere d´avoir une soeur comme toi et une famille qui lui a ouvert les bras .
    Mon papa a perdu son pere quand il avait 6-7 ans , sa mere est ensuite tombee gravement malade . Son frere , ses 3 soeurs et lui ont ete place a l´orphelinat ,puis eparpille dans differentes familles ou ils ont termine de "grandir" ...

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  16. Mon rêve, une grande famille, avec tout pleins d'enfants... Hélas, suis une fille unique, j'ai une enfant unique ( un miracle, ma gényco nous avait dit que nous étions stérile à l'époque , j'ai eu ma fille très tard 39 ans, et qu'une )
    A l'heure d'aujourd'hui, il ne me reste qu'elle, toute ma petite famille est décédée

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  17. sacrée famille... et souvenirs bien présents...

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  18. Très belle histoire, un peu de moi la dedans. Bye Ysa

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  19. Un début de reconstruction, rendue possible par de bonnes décisions au bon moment, et une famille qui a fait ce qu'elle pouvait : et ça, c'est admirable de la part de tous !

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  20. C'est chouette comme histoire, ça me ferait presque pleurer tellement je trouve ça émouvant!
    chez nous, 5 enfants et quand tout le monde est là avec les copains et copines, c'est une sacrée tablée aussi!

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  21. Les histoires oui nous adorons et chez toi c'est encore meilleur oui alors tu continus tes histoires je continuerai de passer tu veux bien hein!

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  22. FRANCE : Pas de problème, tu peux passer comme tu veux !!!

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