jeudi 22 octobre 2009

Mélanie



J’avais entendu parler d’elle en termes peu élogieux. Elle n’avait que 16 ans mais était déjà très effrontée et cumulait de petites bêtises sans gravité mais qui dérangeaient beaucoup de personnes.

Lorsque nous avons mis sur pied un programme de formation pour l’obtention du CAP petite enfance, mon élue a pensé à elle, nous devions recruter 7 jeunes femmes qui étudieraient en alternance, une semaine dans une école maternelle de notre commune et une semaine en formation dans un internat de la région de Caen. Ce n’était pas gagné et elle savait qu’elle prenait un risque mais c’était une chance pour cette jeune fille un peu paumée et il fallait la tenter.

Mélanie a débarqué un beau matin dans mon bureau, elle n’avait pas rendez-vous mais mon élue lui avait parlé de moi et elle voulait me rencontrer. Partant du principe que nous étions au service de la population locale, j’acceptais toujours de recevoir les gens, même s’ils n’avaient pas rendez-vous, j’étais un peu plus sélective avec les boites privées ou les fournisseurs, mais pour les habitants je répondais toujours présent même si parfois ce n’était pas évident.

Je me souviens de sa bouille ronde, de ses cheveux décoiffés et de ses yeux plein de malice qui animaient son visage. De jolis yeux pétillants et plein de vie, des yeux coquins qui transmettaient des envies de bêtises à chaque instant et qu’on ne pouvait s’empêcher d’apprécier. De taille moyenne elle était légèrement ronde mais de jolies rondeurs qui lui allaient à merveille. Jean’s délavé, baskets et sweat, chewing gum dans la bouche qu’elle mâchait nonchalamment telle un bovin broyant son herbe, Mélanie venait de faire son entrée dans ma vie !!!!

D’emblée j’ai été emballée par ce petit bout qui dépassait à peine le mètre 60 et qui déjà traînait une tonne de casseroles vis-à-vis de ses voisins de quartier, de son collège et des élus de la ville qui en avaient marre de ses frasques. Elle n’était pas bien méchante, elle allait taquiner les gosses à la sortie de l’école, s’embrouillait avec les voisins et des fois distribuait des baffes à qui lui tenait trop tête, mais ça s’arrêtait là. Mélanie c’était une sale gosse qui avait besoin d’un peu d’attention et qui cherchait par tous les moyens à se faire aimer. Mélanie il suffisait simplement de l’apprivoiser.

Tout s’est fait naturellement entre nous. Je n’ai pas joué les moralisatrices, je lui ai parlé des chances qu’elle avait d’être prise parce que nous avions une sacrée liste d’attente, je lui ai montré les débouchés qu’elle aurait en décrochant son diplôme, elle qui n’avait pas été une élève assidue, elle avait là l’occasion de se rattraper et de nous prouver qu’elle était capable et nous on y croyait !!! Elle m’a parlé un peu d’elle et de sa vie qui n’était pas bien brillante et j’ai vite cerné le personnage, Mélanie manquait d’amour, Mélanie avait besoin d’être rassurée, Mélanie avait besoin d’être reconnue, Mélanie avait besoin que l’on croit en elle, Mélanie manquait de repères….

Je lui ai dit que je l’aiderai, qu’elle pouvait passer me voir quand elle le souhaitait, que je serais toujours là pour elle et que moi j’y croyais !!!

Mélanie a commencé les cours. Une semaine sur deux elle prenait le train le lundi soir avec les 6 autres filles, elle était toujours seule sur le quai de la gare, les autres avaient leur maman, une sœur ou quelqu’un de la famille….Mélanie se faisait déposer, sa famille n’avait pas le temps pour elle, pas toujours de voiture pour l’accompagner…… au bout d’un mois et demi, elle est venue me voir en disant qu’elle voulait arrêter.
Je savais que ce moment arriverait mais je ne voulais pas lâcher l’affaire. Je sentais sa souffrance et je voulais réellement la valoriser car j’étais persuadée que c’était la clé de ses problèmes et Mélanie avait un besoin vital d’être rassurée et reconnue. Nous avons beaucoup discuté, je voyais que l’heure du train aller arriver et mon défi c’était qu’elle y monte et qu’elle se rende à ses cours. Elle a fini par accepter et nous sommes parties ensemble chez elle préparer ses affaires, je l’ai ensuite déposée à la gare et j’ai regardé le train partir en lui faisant coucou de la main.

C’est devenu un rituel, les premières fois elle me faisait le coup du « je ne veux plus y aller » mais elle avait son sac de voyage avec elle alors je lui disais « bon je t’accompagne », puis c’est devenu très vite une habitude, je savais qu’un lundi sur deux, j’accompagnais Mélanie au train de 5 h 17 !!!

Elle venait souvent longtemps à l’avance de sorte que je lui faisais réviser ses leçons, je vérifiais ses devoirs. J’aime autant vous dire que les filles du service se moquaient de moi, je perdais mon temps, Mélanie était irrécupérable. J’avais expliqué à mon élue la tournure que prenaient les choses parce que forcément ça empiétait un peu sur le travail, ça commençait à jaser en Mairie, mais elle était d’accord avec moi, il ne fallait pas laisser tomber Mélanie, c’était important. Pour moi ce n’était pas compliqué, je m’étais vraiment prise d’affection pour elle et j’avais beaucoup de plaisir à l’aider.

Un jour Mélanie m’a invitée à aller chez elle, elle voulait me présenter à sa famille. Un père souvent absent, une maman dépassée par les évènements, un frère plus jeune un peu déjanté, une sœur ainée brillante qui faisait ses études d’infirmière. On avait l’impression que les rôles étaient inversés quand on voyait Mélanie et sa mère……

La maman me remercia pour tout ce que je faisais, depuis qu’on avait pris Mélanie en main ça allait beaucoup mieux. Tout au long de l’année scolaire, Mélanie est passée me voir régulièrement, souvent elle m’apportait des petits cadeaux, ça me gênait mais il ne fallait surtout pas que je refuse. C’était souvent des friandises parce qu’elle connaissait mon côté gourmand. Les collègues avaient fini par l’apprécier aussi, elles reconnaissaient les efforts, Mélanie faisait partie du décor désormais et surtout elle ne faisait plus de bêtises !!!

Mélanie n’a pas eu son CAP malgré les efforts qu’elle avait fournis, elle avait un trop grand retard scolaire, trop d’années accumulées à faire le pitre à l’école et à ne rien écouter. Je crois qu’à l’épreuve pratique elle avait fait un fiasco en préparant une purée pour bébé……Je n’étais pas déçue mais triste pour elle, elle n’avait pas réussi mais moi j’avais gagné mon pari de lui donner cette seconde chance et surtout de lui donner confiance en elle, de lui faire comprendre qu’elle existait et qu’il y avait des gens qui l’aimait.

Mélanie n’est jamais restée sans me donner de nouvelles. J’ai continué de l’encourager et de croire en elle. Elle a fini par rencontrer un gentil garçon, courageux et bosseur et ils se sont mariés.

Aujourd’hui, Mélanie est une jeune femme de 27 ans, épanouie avec 4 enfants dont l’ainé est très brillant, il a déjà sauté une classe et il semble promis à un bel avenir. Elle habite un joli pavillon dans la banlieue de Rouen et s’occupe très bien de ses enfants. Malgré mon départ en Israël, elle me donne régulièrement de ses nouvelles et j’ai promis d’aller chez elle quand je viendrais en France. Je ne manque pas, à chaque fois de lui dire que je suis fière de ce qu’elle est devenue et que je savais qu’elle réussirait.

Mélanie a réussi à sa façon, son rêve n’était pas d’avoir un job et de gagner des millions. Elle voulait tout simplement fonder une famille, avoir une maison…. Elle voulait rencontrer des gens qui l’aiment et qui croient en elle…..

Aujourd’hui, Mélanie a gagné son pari….

21 commentaires:

  1. tu es une juste.. au même titre de ceux et celles qui ont su faire ce qu'il fallait pendant la guerre pour sauver les enfants d'israël des mains des nazis... bravo grande soeur...

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  2. C'est un très joli récit avec au fond des lignes beaucoup de lumière et d'espoir. Tu as cru en la bonne étoile de Mélanie et tu as eu raison mais 27 ans c'est jeune et qui sait si un jour un joli papillon ne sortira pas de sa chrysallide ?

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  3. Merci de nous avoir raconté cette magnifique histoire et de nous faire partager ces rencontres qui rendent fort

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  4. quelle merveilleuse histoire', quellle joie qu'elle se soit terminée si bien, bravo à Mélanie
    bisous et bonne soirée Ysa et encore bravo

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  5. C'est une belle histoire Ysa, car avancer seule pour certaines ou certains pas facile et tu as étais là au bon moment...
    La vrai réussite c'est sa vie personnelle en premier, un plan de carrière si l'on veut mais en deuxième position, c'est un avis tout à fait perso... Le principal est de trouver sa place et d'y être bien, et Mélanie grâce à toi a trouvé la sienne....
    Gros bisous et soigne toi bien surtout, sinon plus de bisous et on signe une pétition qu'on remettra à Jules !!!!

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  6. j'adore la photo et je crois qu'elle est tirée d'un film, non ???? Ysa comme Monsieur Cadburry, quand on clique tu peux les faire plus grandes tes photos !!
    Re bisous !

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  7. Pari gagné, un peu, beaucoup grâce à toi.

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  8. Tout cela fait plaisir à lire, en voilà une qui est contente de son sort et c'est tant mieux.

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  9. félicitations à Mélanie mais surtout à toi Ysa, qui n'a pas lâché le morceau!
    il est rare aujourd'hui de rencontrer des gens comme toi qui donnent de leur temps et de leur énergie pour "sauver" des jeunes

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  10. Dans le joli monde qui est le notre, si on ne fait pas comme tout le monde on est forcément mauvais, irrécupérable, idiot et j'en passe.
    C'est une belle leçon de courage et d'humilité, cette jeune fille a trouvé une famille et un foyer, à elle de persévérer et de s'accrocher... Je lui souhaite beaucoup de bonheur

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  11. Tu fais de sacrées rencontres tout de même dans ta vie !

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  12. un merci pour toutes les mélanie de la terre
    il manque peut être un peu trop de ysa pour faire le chemin avec elles....

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  13. une belle histoire de vie! des liens qui vont bien au dela de la reconnaissance, c'est chouette!
    maevina

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  14. C'est une belle histoire, Une Mélanie sauvée c'est de l'espoir pour toutes les autres..

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  15. Super !!! c'est encourageant ! Bravo à Mélanie qui a réussi sa vie ! Je pense que je l'aurais aimée aussi ! Tu as bien fait de croire en elle, parce que tu es peut être un peu le déclencheur qui lui a donné la foi en elle-même ! Bisous Ysa !!!

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  16. CHARLES : Juste juste, comme tu y vas.... je n'aime pas laisser des gens sur le bord du chemin, j'estime qu'on doit avoir tous les mêmes chances dans la vie, mais on sait bien que c'est une utopie et que ce n'est pas le cas alors quand je peux donner un coup de pouce, je n'hésite jamais !!!

    ANAIS : Sa bouille m'a tout de suite fait craquer et j'ai senti que sous l'enveloppe il y avait quelqu'un de bien et qu'elle n'était pas la fille telle qu'on la décrivait...

    ANGELITA : Oui ça fait plaisir et surtout que Mélanie a toujours donné de ses nouvelles, ce n'est pas le cas pour beaucoup de gens que j'ai aidés...

    YVON : J'ai toujours cru en Mélanie, je savais qu'elle ne ferait pas d'études, c'était pas son truc mais je savais qu'elle s'épanouirait ailleurs....

    CATCENT : J'aime aider les gens

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  17. VIRGINIE : Je marche beaucoup au quotient émotionnel, c'est ce qui m'intéresse dans la vie. Tu as raison, Mélanie a réussi sa vie, elle voulait des enfants car elle les adore, que demander de plus....

    BRICO GIRL : Un petit peu, disons que j'ai été un tout petit déclencheur, quelqu'un qui a cru en elle et qui lui a permis d'aller de l'avant... le reste, c'est à elle seule qu'elle le doit....

    SCO : Oui elle est heureuse et c'est tout ce qui compte...

    EMMA : Et tu peux parce que c'est une belle aventure humaine...

    BERAN : Ysa Moche aussi parfois !!!

    NORZEM : Non je n'ai pas lâché le morceau, je savais qu'elle avait besoin de quelqu'un derrière elle pour avancer....

    CHRYSALIDE : Oui, dès qu'on sort un peu de la normale (et encore qu'est ce que la normale) et bien on est vite irrécupérable.... Mélanie c'était une petite fleur qui ne demandait qu'à grandir.... les autres l'ont vue comme une mauvaise herbe, alors qu'en fait c'est un joyau qui ne demandait qu'à être découvert....

    JOELLE : J'ai fait de belles rencontres, j'en ai fait de terribles aussi, certaines m'ont donné un goût amer, d'autres m'ont amené la rage et la colère... c'est la vie... Mélanie c'est du bonheur....

    TARMINE : Je pense que des Ysa il y en a et sûrement plus qu'on ne le croit....

    MAE : Avec Mélanie tout a été naturel, je crois qu'on s'est adoptées tout de suite toutes les deux, je lui ai apporté beaucoup mais elle aussi crois moi....

    HEURE BLEUE : C'est une histoire qui finit bien et moi j'aime ça !!!

    RAINETTE : Elle t'aurait plu, un petit peu effrontée mais adorable et tellement reconnaissante. Elle avait des yeux pétillants qui te faisaient craquer à tous les coups.

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