jeudi 7 janvier 2010

"Petche"


Il venait me chercher à l’école avec son vélo qu’il avait repeint en bleu. Parfois quand je ne souhaitais pas marcher, il me hissait sur la selle et guidait l’engin en marchant à côté. A cette époque il était encore alerte et les ulcères de ses jambes ne le faisaient pas trop souffrir. Il avait pris sa retraite assez tôt car à l’âge ou d’autres enfants entrent au collège, lui il suivait son père sur un bateau et partait pour les campagnes de pêche en Islande. J’avais souvent entendu dire que la première fois qu’il avait quitté le port, il pleurait après sa maman, avec le temps il avait fini par s’habituer, ils étaient marins pêcheur de père en fils et son père se faisait un devoir de lui apprendre le métier. Une fois son activité maritime, terminée il avait travaillé à l’usine afin de compléter ses trimestres manquants pour la retraite et après ce dur labeur, il prenait enfin un peu de temps pour lui.

Il s’occupait activement de son jardin qu’il entretenait et chérissait comme un chef et il y passait beaucoup de temps car le jardin était grand. Beaucoup de légumes, des aromates, des fruits, des arbres et des fleurs, l’endroit était complet et j’aimais beaucoup m’y promener et retourner la terre avec lui quand je n’avais pas école. J’adorais ramasser les pommes de terre, déplanter les carottes, agiter les groseilles, manger les fraises et cueillir de jolis bouquets pour les tables de fête. En été, le tourniquet était mon objet favori et je ne me lassais pas de me faire arroser lorsqu’il faisait très chaud. J’aimais aussi aller puiser de l’eau dans la citerne qu’il avait installée pour récupérer les eaux de pluie. Cette eau servait aux lessives et à l’arrosage du jardin. J’avais un petit arrosoir en plastique et j’étais fière de l’utiliser. Je pense que c’est lui qui a du me transmettre cet amour pour la terre et la nature.

Le Mardi c’était jour de lessive, bien sûr il y participait, il n’y avait pas de lave linge et tout se faisait dans de grandes cuves, des lessiveuses comme il disait. Il aidait pour les draps en coton épais et les serviettes de toilette qu’il ébouillantait. Il charriait les bassines d’eau et faisait les allées et venues pour rincer le linge, il tournait la manivelle pour essorer et il emmenait le tout dehors. Parfois il aidait à étendre le linge sur les fils de fer quand les pièces étaient trop lourdes et trop volumineuses. Ce travail harassant commençait souvent vers 7 heures le matin et ne se terminait que vers midi. En été c’était une occupation agréable mais en hiver c’était plus dur. Les lessives se faisaient à la cave car les grandes cuves étaient stockées là et il y avait une pièce spéciale pour sécher le linge lorsqu’il pleuvait.

Le Mardi il était très fatigué, le travail physique qu’il effectuait et la station debout prolongée faisaient souffrir ses jambes mais il ne disait jamais rien. Il se reposait un peu en début d’après midi et vers 16 heures il retournait au jardin pour ramasser les légumes qui serviraient à préparer la soupe du soir. Faut dire que « Metche » ne l’épargnait pas, elle avait toujours quelque chose à lui faire faire et parfois je me demandais où il trouvait la force pour continuer.

Souvent en fin d’après midi, une fois mes devoirs terminés, on jouait aux cartes ou à des jeux de société. Il avait une patience sans limite et acceptait tout ce que je lui demandais. Je voulais dessiner, on dessinait, je voulais lire, on lisait….. Lorsque je décidais de partir jouer chez une copine, c’est encore lui qui venait me chercher, il était inquiet quand il voyait la nuit tomber, alors il enfourchait sa bicyclette bleue et arpentait le quartier pour me retrouver. J’étais une vraie chipie car je n’étais jamais chez la personne où j’avais prétendu aller, il faisait alors la tournée des copines et finissait toujours par me retrouver et me réprimander parce qu’il était inquiet.

Je me souviens de son habillement particulier, il avait toujours un pantalon et une veste bleu marine en toile épaisse style jean’s qui ressemblait presque à de la bure. Je ne me rappelle pas l’avoir vu habillé autrement qu’avec ce style de vêtements, il en avait de plusieurs couleurs mais toujours dans les tons foncés. Il sortait le costume, la chemise blanche et les boutons de manchette en or pour les grandes occasions. Il ne quittait jamais sa casquette de marin sur laquelle était brodée une belle ancre marine.

Je l’ai vu vieillir et se fatiguer de plus en plus. Monter et descendre les escaliers étaient pour lui un véritable enfer et je me fâchais quand ma grand-mère lui demandait de descendre au sous sol pour récupérer l’énorme « fait tout » de soupe qu’elle avait fait cuire. Il mettait un temps fou à remonter le précieux breuvage et metche trouvait que ça n’allait pas assez vite alors elle le houspillait. Il ne répondait jamais…je répondais qu’elle n’avait qu’à attendre que l’un de ses fils rentre, mais « Metche » quand elle voulait quelque chose, c’était tout de suite.

J’aimais quand il ma parlait de la guerre, je lui disais « encore pépé » et pépé recommençait de plus belle pour me faire plaisir. Je crois que par moments Metche était jalouse de notre complicité. Il était fier lorsqu’il était appelé dans les collèges pour raconter sa vie de pêcheur d’Islande et quand il a été contacté par un écrivain belge pour témoigner, il a tout de suite accepté.

Je ne suis jamais restée loin d’eux, ils étaient un peu comme mes parents puisqu’ils m’avaient élevée les cinq premières années de ma vie. Quand je revenais du lycée, ma mère m’attendait et on partait les voir, on mangeait un bol de soupe, la fameuse soupe de « Metche » qui abreuvait les voisins et amis du quartier.

Un matin il n’a pas réussi à se lever, le médecin est venu, le diagnostic était simple, « Petche » était usé, l’hospitaliser n’aurait servi à rien, le cœur ne suivait plus, le corps non plus, puis il voulait rester chez lui, dans sa maison. Nous l’avons bichonné pendant 8 jours, ma mère faisant partie du corps médical savait, moi je n’étais pas préparée. Je suis rentrée du lycée, j’étais en colère, ma mère était partie manger la soupe sans moi, la maison était sombre et vide, j’ai eu un étrange sentiment qui s’est tout de suite confirmé. Ma mère est revenue pour me chercher, elle m’a simplement dit que « Petche » s’était endormi, paisiblement. Elle avait fait ramener de l’oxygène mais ça n’avait pas suffit. C’était son heure, c’est lui qui avait décidé. Vers le milieu de l’après-midi, entouré des siens, il avait entamé son grand voyage, tout simplement, comme il avait toujours été dans la vie. Pas une plainte, pas un rictus de souffrance, l’instant d’avant il parlait et tout à coup c’était fini.

Il s’appelait Charles-Henri, c’était mon grand-père maternel, mon « Petche » à moi… il aurait presque 110 ans maintenant.

23 commentaires:

  1. tes souvenirs sont tellement émouvants

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  2. je ne t'aime pas Ysa ce soir tu me le permet ...

    d'abord hier mon homme s'est fait heurté par une voiture...et çà fait deux jours que je suis aux urgences de deux hôpitaux...
    j'aurai pu le perdre, mais quel con ! il a pas pensé à moi ce bandit...

    et puis tu parles de ton grand-père...et çà me fait trop ensé à mon père, parti si vite que j'étais en guyane qu'on m'a fait prendre l'avion illico presto et qu'aarivée à la morgue on m'a donné un petit paquet de ses affaires...

    Ysa, que j'adore...zut et sut de sut tu me fais chialer...suis pas costaud moi ce soir !
    et j'ose pas tu sais retourner sur le beau blog de ton frère
    et ma chantilly elle me manque...mais si je le dis elle va se mettre encore en colère

    Ysa ...vais mal ce soir !

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  3. Une belle hommage à ton grand-père, mais comme rien est éternel il a fait son chemin. Bye Ysa

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  4. Moi aussi tu me fais pleurer, c'est malin ça !

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  5. J'aime bien quand tu nous relates tes souvenirs d'enfance...
    Je suis passée hier soir, mais j'étais émue moi aussi parce que cela à fait 40 que mon grand-père paternel, Charles est mort... A 70 ans, il aurait lui aussi 110 ans aujourd'hui....
    Les grand-parents laissent de belles traces à leurs petits enfants.. Tu as eu la chance de le connaître, voilà un beau cadeau !
    Je t'embrasse très fort !!

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  6. Elle sent bon la soupe de tes souvenirs, bel hommage rendu à ton grand-père!

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  7. quel dommage que de nos jours ce si "joli" prénom soit moins porté dans nos cours d'école... pffff...
    j'avais presque l'impression de revoir moi aussi mon grand-père à te lire... que de points communs pour cette belle génération qui a durement souffert au labeur et qui ne se plaignait jamais..
    bises

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  8. très émouvant ..........je n'ai pas eu de grand père, ni de grand mère, ça doit être bien !

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  9. voilà encore un récit bien émouvant.
    bel hommage à cet homme.

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  10. merci à toi Ysa de nous faire partager un peu de ton existence !! je te souhaite un beau week end !

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  11. JOELLE : Ce sont de beaux souvenirs, j'ai eu de la chance d'avoir des grand-parents formidables des deux côtés...

    NANOU : Désolée, je ne savais pas qu'Alain s'était fait renverser par une voiture alors je comprends ton malaise.... je suis contente que ça ne soit pas très grave, tu vas devoir le bichonner et je suis certaine qu'il va adorer....

    CATCENT : Des fois j'aimerai que certaines personnes soient éternelles....

    SCO : Oh bein non, je ne voulais pas te faire pleurer... bien que moi aussi j'ai versé une petite larme en pensant à lui....

    ZELIE VIRGINIE : Je me dis que j'aurais du en profiter un peu plus de mes grand-parents, bien que j'en ai quand même profité beaucoup... ce sont de trop beaux souvenirs et j'aime parfois les partager...

    BRICO GIRL : J'en ai plein des souvenirs comme ça et la soupe de "Metche", c'était quelque chose, tout le quartier accourait pour en boire... mon "Petche" était un sage, très doux, gentil, il ne disait jamais rien....

    CHARLES : "Petche" c'est pépé en flamand et "Metche" mémé. Mes grand-parents parlaient pratiquement toujours en flamand. De ce fait je comprends tout le flamand mais je ne sais pas en parler un mot ce qui est assez curieux...

    MAE : Quel dommage, ils sont partis trop tôt, les grand-parents c'est du bonheur et des souvenirs....

    NORZEM : Il était super mon "Petche"

    LE MAGICIEN : merci Jerry, bon week-end à toi aussi, pour moi c'est grand soleil... Lyon est sous la neige je crois, ma fille a bien froid !!!

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  12. pauvre Nanou... je lui souhaite beaucoup de courage pour ce mauvais passage !

    et quel beau récit, une telle complicité j'aurais tant voulu connaître... tu as bien de la chance !

    et oui sous la neige mais je me plains pas on est relativement épargné vu ce qui tombe dans certains coins, le froid me fait plus peur à cause du verglas !
    mais c'est l'hiver et pour une fois qu'on en a un... on va pas se plaindre ! on a plus l'habitude c'est tout...

    gros bisous et bon dimanche
    je vais aller mettre un petit mot à Nanou elle me fait trop mal dans sa souffrance

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  13. Avant de lire, je voulais te dire que c'est le troisième blog sur lequel "je clique" et qui affiche des voiliers ... lol !
    A tout de suite ma Havera

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  14. C'est beau ce genre de souvenirs +++++ Notre enfance est presque similaire : mes grands parents m'ont élevée jusqu'à l'âge de 7 ans .... et je jardinais également avec mon Pépère ... (voir SOUVENIRS D'ENFANCE JO TOURTIT).
    Le moindre souvenir est ancré dans mon coeur à jamais..... et je vois que toi aussi tu n'as pas oublié ... tendre Havera.
    Bisous +++ et bon dimanche

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  15. Salut "Petche" !
    Et besos à toi, Ysa, bon dimanche !

    Jack

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  16. Que de souvenirs... on en a tous des comme ça ... :)

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  17. Il aurait presque 110 ans, je ne sais pas à quel âge, il est mort mais il a rendu sa petite fille heureuse et il n'est pas vraiment mort puisque tu penses à lui...

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  18. quel richesse de vie pour cet homme remarquable que fut ton grand père
    bises et bonne semaine

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  19. Mon grand père à moi s'est éteint lorsque j'avais 6 ans, je ne me souviens plus de son visage ni de sa voix, même les quelques photos n'ont jamais réussies à ouvrir les portes de ma mémoire... comme j'aurais aimé les connaitre un peu mieux, mais le temps à jouer contre moi, j'étais trop jeune, trop petite...
    C'est un bien joli hommage que tu lui rends, comme d'habitude tes mots sont simples et doux...

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  20. Waouh ça fait froid dans le dos!
    Comme quoice 7 janvier est une date fatidique pour pas mal de monde, mon amie d'enfance Karine a perdu sa maman il y a un an, un 7 janvier!
    Bise ma belle!

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  21. FLOLIPO : Nanou est forte et formidable, elle va y arriver et Alain va beaucoup mieux. Que de bons souvenirs avec mon Petche, je réalise que j'ai eu beaucoup de chance....

    JO : un voilier c'est l'évasion, puis c'est beau quand ça vogue dans les flots.... les bâteaux me rappellent mes grand-pères, tous deux marins.....

    JACK : Petche était un marin, pas un pirate mais il avait un grand coeur comme le tien....

    FIGELE : Oui c'est une chance d'avoir de tels souvenirs...

    HEURE BLEUE : Et oui j'y pense souvent à mes grand-parents, ils m'ont appris tellement de bonnes choses et des valeurs inestimables....

    YVON : Oui mon Petche était remarquable....

    CHRISALYDE : Alors tu n'as pas beaucoup de souvenirs quel dommage, les grand-parents nous apportent beaucoup...

    VICTORIA : J'y pense souvent, et pas seulement à la date de son décès....

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  22. C'est un peu de mes souvenirs aussi P'tche, Me'tche, la marmite de soupe.....
    mais tu vois je ne savais pas que papy Bray-Dunes se nommait: Charles Henri (quel beau prénom!!!)

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