
Dans son dernier article,
Bérangère nous vantait les délices d’un hammam qu’elle a fait durant son week-end parisien ce qui du coup a ravivé un souvenir plutôt rocambolesque d’un hammam à Marrakech.
Nous sommes en août 2001, nous avons loué une villa dans le quartier du Guéliz, avec deux couples d’amis. L’endroit est somptueux, un immense portail en fer forgé s’ouvre sur un grand terrain planté de palmiers et d’arbres variés avec en face la piscine et le coin repas. A gauche la bâtisse orientale abrite du côté droit des chambres pour les locataires. Le reste de la maison sert d’appartement privé au propriétaire des lieux que nous ne verrons pas car il vit une partie de l’année en France. De l’autre côté du terrain, une bâtisse plus petite accueille deux chambres et une salle de bain. Nos deux couples d’amis sont dirigés vers les chambres de la bâtisse centrale, nous prenons quartier dans la petite maison qui est très sympathique mais qui va s’avérer aussi très chaude car elle ne possède pas de climatiseur.
Dans la cuisine Fatima s’active avec ses aides. Elle a trois jeunes femmes à son service et elle les mène d’une main de maître. Elles sont chargées de faire les courses, de nous préparer nos repas et d’effectuer l’entretien de nos chambres. C’est un peu comme à l’hôtel sauf que là c’est plus cool et qu’il n’y a pas vraiment d’horaires à respecter.
Le séjour se déroule parfaitement et on essaie le plus possible de ne pas vivre comme des touristes mais plutôt de se mélanger à la population. Fatima nous donne des adresses de restaurants et d’endroits typiques à visiter. Au bout d’une semaine, nous sommes tentées par le hammam, nous avons vu des publicités et les hôtels proposent tout un tas de possibilités aussi alléchantes les unes que les autres.
On se voit déjà dans les somptueux hammams, sirotant un thé à la menthe, massées par des créatures de rêve, bichonnées par de douces mains…. Un peu comme dans les films des mille et une nuits…. On veut le top du top, certains hôtels proposent des forfaits très intéressants, hammam, massage, collation, piscine….. on s’y voit déjà et on ne parle plus que de ça….
Fatima qui n’a pas loupé une miette de la conversation vient comme tous les soirs s’asseoir avec nous et prendre le dessert. Le hammam elle y va une fois par semaine et elle a ses habitudes dans un petit hammam pas loin de la villa. On veut du typique, on veut du vrai, alors pourquoi aller s’enfermer dans un hôtel avec les touristes alors qu’on peut faire local….et puis surtout pourquoi aller payer un truc hyper cher alors qu’on peut avoir aussi bien pour moins cher !!!!
C’est vrai finalement, Fatima a raison et elle sait se montrer persuasive. On va connaître un vrai hammam marocain et pas un hammam d’hôtel, et avec les économies qu’on va faire on pourra se faire plaisir dans le souk. On finit par se rallier à sa cause et on décide d’y aller le lendemain après midi, les hommes garderont les enfants.
Je ne sais pas pourquoi mais j’ai senti le coup foireux dès le départ et mes craintes ne se sont pas apaisées quand on est arrivées dans le quartier ou était situé le hammam. On se dirigea vers une vielle bâtisse en pierre qui aurait bien eu besoin d’un bon ravalement. Je me souviendrais toujours du rideau de la porte d’entrée avec des lamelles en plastique multicolores qui pendouillaient dans tous les sens et de la mégère qui gardait la caisse.
J’ai eu un moment de recul et je regardais les copines qui ne pipaient mot. On était partagées entre la crainte, l’envie de détaler comme des garennes et aussi une folle envie de rire qui était certainement due à la nervosité ambiante.
Il faut dire que l’endroit était vraiment glauque, on se serait cru à la cour des miracles. Un long couloir partageait le bâtiment en deux, d’un côté les hommes et de l’autre les femmes.
La tenancière avait du se laver les cheveux dans un bain d’huile et sa blouse n’était pas de la première fraicheur, elle avait dans ses cheveux une vieille barrette qui tenait par l’opération du Saint Esprit. Ses bras ressemblaient à ceux d’un poupon bien grassouillet et ses fesses débordaient de la chaise.
Elle nous donna une clef pour notre casier et une serviette qui n’était plus de la première fraicheur et qui n’avait pas du être lavée avec la lessive qui lave plus blanc. On se dirigea vers le vestiaire qui était en fait un vestiaire commun. Fatima nous laissa là et nous indiqua qu’elle partait faire quelques courses. On se retrouva donc entre nous et les langues se délièrent aussi sec. Ce n’était pas vraiment ce qu’on avait imaginé, on se disait qu’on aurait peut-être pas du entrer mais qu’on ne voulait pas vexer Fatima. En tout cas l’endroit n’était pas reluisant et nous n’étions pas vraiment tranquilles car on avait aperçu deux ou trois loustics à la mine patibulaire qui nous reluquaient avec insistance lors de notre passage dans le couloir qui menait au vestiaire.
J’osais à peine m’asseoir sur le banc en bois et je m’étais enroulée dans la serviette, ayant pris soin auparavant de l’examiner dans tous les sens. Elle était rêche et ça m’irritait la peau déjà sensibilisée par le soleil. J’avais mis mes vêtements et mon sac dans le casier et je m’empressais d’attacher la clé autour de mon poignet. L’ambiance se détendait peu à peu et on se risquait même à rire de la situation. On avait ordre d’attendre que l’on vienne nous chercher, nous avions le luxe d’avoir chacune une personne à notre service, c’est Fatima qui l’avait exigé et ils avaient même fait venir une personne qui était en congés….
Je ne sais pas pourquoi mais je m’accrochais à ma serviette comme une huitre à son rocher…. J’étais hyper stressée et j’avais beaucoup de mal à me détendre, le manque d’hygiène de l’endroit me gênait énormément et s’il n’y avait pas eu les copines, j’aurais pris mes jambes à mon cou !!!
Elles sont arrivées comme un seul homme, elles ont fait irruption dans le vestiaire et il fallait le voir pour le croire. Trois bonnes femmes avec chacune un gant de crin. L’une d’elle qui semblait être la chef, portait en supplément un grand seau de savon noir !!! Elles nous ont fait rentrer dans une première chambre ou il faisait chaud mais pas suffocant et nous ont fait asseoir à même le sol, elles ont déposé gants et seau et sont ressorties.
On a commencé à se détendre, la vapeur et la chaleur humide aidant et on s’est même pris le luxe de rire de la situation. Nous étions entre nous et il n’y avait personne d’autre, comme si le hammam n’avait été réservé que pour nous. On avait bien une idée de la suite des évènements, chacune d’entre nous serait savonnée par une des bonnes femmes, elles nous faisaient plutôt peur qu’autre chose et étaient très loin des belles créatures aperçues sur les dépliants des hammams des hôtels.
Forcément et comme d’habitude, j’ai hérité de la plus vilaine. J’osais à peine la regarder, elle devait approcher la soixantaine. Elle avait revêtu une simple tunique et j’apercevais sa lourde poitrine qui pendait. Elle me faisait peur cette poitrine et c’était plus fort que moi mais je ne pouvais cesser de la regarder. Elle avait attaché ses cheveux qui commençaient à grisonner et il lui manquait deux dents dans la bouche ce qui lui donnait un air de sorcière et je l’ai tout de suite comparée à la sorcière de Blanche Neige. Quand elle s’avança vers moi avec son gant de crin, j’avais l’impression qu’elle me tendait la fameuse pomme qui me ferait dormir à tout jamais.
Elle parlait très mal le français et avalait ses mots, alors je me contentais parfois de faire un signe de la tête quand je ne comprenais pas….les copines n’étaient pas mieux loties mais elles semblaient beaucoup plus décontractées que moi. La sorcière m’attrapa tout à coup et m’arracha la serviette qui me recouvrait, elle la jeta négligemment sur le côté et se mit à me savonner avec frénésie si bien que j’en avais le souffle coupé. J’entendais les copines glousser car pour elle ça n’avait pas encore commencé et elles avaient tout loisir de m’observer. Elle m’enduisait de savon noir et pas un recoin n’y échappait. J’avais du mal à tenir assise et je me souviens même d’avoir glissé ce qui nous a bien fait rire. L’autre m’a rattrapée par la jambe et m’a remise en selle !!! Entre temps les copines étaient prises en main elles aussi et petit à petit la décontraction fut de mise et la partie tourna à la franche rigolade.
Les trois bonnes femmes ne comprenaient pas pourquoi on gloussait comme des poules, elles échangeaient en arabe ce qui fait que l’on ne comprenait pas mais je crois qu’on s’en foutait. Ma sorcière tentait de m’expliquer les bienfaits du savon noir et quand elle empoigna le gant de crin forcément ça marcha moins bien !!! elle me frottait tellement énergiquement que j’ai cru qu’elle allait m’arracher la peau et du coup j’étais un peu réticente.
Elle voulait me prouver par A + B les bienfaits de sa façon de procéder je n’étais pas convaincue pour autant. J’avais toujours appris qu’un gant de crin s’utilisait en petits massages circulaires, par effleurement et elle elle arrivait avec ses gros sabots et me plantait carrément le gant dans la peau. Elle me vanta ensuite son ancienneté dans le métier et la satisfaction des clients, je n’étais toujours pas convaincue pour autant et j’attendais avec impatience que le supplice se termine. Quand elle arriva avec le gant sur ma poitrine je l’arrêtais tout de suite, il n’était pas question qu’elle s’y aventure, c’est une zone sensible et je n’avais pas envie de me retrouver sans peau !!! Bien sur elle ne comprenait pas et se dit que je faisais du chichi, elle faisait ça tous les jours mais je n’en démordais pas et lui fit nettement comprendre que c’était mon problème et pas le sien. Elle continua sa tâche tout en maugréant et termina le tout par un seau d’eau tiède qu’elle me versa par-dessus la tête. On avait voulu du typique on l’avait. Une des copines avait chopé un fou rire en me voyant ainsi et ne pouvait plus s’arrêter.
On passa ensuite dans deux autres chambres différentes mais sans les sorcières cette fois et la fin de la séance tourna au fou rire général. On ne pouvait plus s’arrêter. On se dit qu’on garderait un souvenir inoubliable de ce passage au hammam et c’est effectivement le cas. Quand Fatima vient nous récupérer on lui raconta que tout s’était bien passé, et on ne s’attarda pas sur le sujet. On avait imaginé un moment de volupté, de sérénité, une détente dans un bel hammam rutilant de propreté, un repos sur une chaise longue en sirotant un thé, les mains expertes et douces d’une jolie masseuse…. Des huiles aux odeurs orientales épicées……
Adieu veau, vache, cochon, couvée, on a pas eu de chateau en espagne mais à la place une bonne rigolade.....
Finalement la semaine suivante, quand Fatima nous proposa d'y retourner, je ne sais pas pourquoi tout à coup, on fut toutes prises d'une grosse fatigue.....et c'est toute seule qu'elle alla dans son hammam préféré !!!